21 déc. 2018

Et si on causait pH ?

Cet article a été rédigé et initialement publié dans le dernier numéro d'ECM Le Mag! 
Les questions sur le pH et l'utilisation de produits tels que le liniment oléo-calcaire sur les peaux fragiles étant récurrente, il m'a semblé pertinent de le publier ici.



Le pH



Qu’est-ce que le pH ? Comment et pourquoi le mesurer ? Quels risques si je ne le mesure pas ? … Nous allons essayer dans cet article de répondre à toutes vos questions sur le pH, un élément de nos cosmétiques tout aussi important que les “ingrédients” que nous utilisons.


Comme beaucoup d’entres nous, lorsque j’ai commencé à “tambouiller”, à créer mes cosmétiques, je ne comprenais pas l’utilité de vérifier le pH. Et donc, je ne le vérifiais pas. Plusieurs raisons à cela. D’abord, sans aucune culture scientifique, je ne comprenais pas ce qu’était le pH. Pour moi, il restait un argument marketing “pH neutre” ou encore “pH physiologique” (celui-ci me fait beaucoup rire aujourd’hui...) inscrit sur l’étiquette de grandes marques de cosmétiques. Ensuite, comme j’utilisais au départ des formules établies par des cosméteuses-amatrices-chevronnées ou encore celles de boutiques de matières premières, je partais du principe que les formules étaient vérifiées et que donc, ce test était inutile. Et comme beaucoup d’entre nous, j’ai commencé à m’intéresser au pH lorsque je me suis lancée dans la saponification à froid. Or, à cette époque, j’ai découvert avec effroi (non non, je n’exagère pas !) que sans cette vérification, je me mettais en danger (non non,  je n’exagère pas là non plus ! Bon, si, un peu, mais quand même.).


La question du pH et de son test revient souvent sur les groupes et forums de cosmétique maison. Voilà pourquoi il nous a semblé important d’aborder cette question dans le dernier numéro d’ECM Le Mag!.


Mais alors, le pH, qu’est-ce que c’est ?



Le petit nom du pH est le potentiel Hydrogène. Lorsqu’on le mesure, on mesure en fait l’activité des ions hydrogènes (H+) dans une solution aqueuse. Pour rappel, une molécule d’eau pure est constituée d’un atome d’oxygène (O) et de deux atomes d’hydrogènes (H), d’où son nom savant H2O.


Schéma d’une molécule d’eau. source Wikipédia (CC)


Partant de là, on peut déjà dire qu’un produit cosmétique ne contenant pas de phase aqueuse ne nécessitera pas de mesure de pH. C’est le cas pour toutes vos formules de baumes ou d’huiles par exemple. En revanche, dès lors que votre formule présente une phase aqueuse, qu’il s’agisse d’eau pure, minérale, distillée, d’hydrolat, de lait végétal, d’infusion, de décoctions – et toute autre phase aqueuse imaginable – il sera nécessaire de mesurer le pH de votre préparation.


Et là, vous me dites qu’on a peut-être tout dit, mais qu’on n’a aussi rien dit ! Et vous avez raison.


Lorsqu’on mesure le pH, on mesure l’acidité ou l’alcalinité (on peut aussi dire la basicité) de notre préparation. Cette mesure se fait sur une échelle de 1 à 14. 1 étant le point le plus acide, 7 le milieu, et 14 le pH le plus alcalin (basique).


Voici un exemple d’échelle de pH :

Les pH très acides (< 3) ou très basiques (> 12) sont susceptibles de causer de graves lésions sur la peau, notamment de très graves brûlures. Ces produits sont considérés comme très dangereux. Pour les manipuler, il est nécessaire de se protéger, en utilisant des gants et des lunettes de protections adaptés. Nous vous épargnerons ici des images de brûlures chimiques, mais vous pouvez jeter un œil dans votre moteur de recherche préféré : une cosméteuse avertie en vaut deux ! Et mieux vaut prévenir en se faisant une petite peur que guérir et souffrir énormément !



Cependant, sans aller sur des mesures aussi extrêmes, un pH inadapté peut causer des déséquilibres et des problèmes de peau.


Mais alors… Quel pH pour quelle partie du corps ?



Chaque partie du corps a un pH qui lui est spécifique. Et il est donc important de le respecter afin de ne pas agresser notre peau. Une peau agressée aura tendance à se protéger. Et pour se protéger, notre peau n’a que très peu de solution. En général, une peau agressée produira du sébum pour recréer ce qu’on appelle le film hydrolipidique qui se trouve à sa surface. Tiens tiens, hydrolipidique. Il ne vous dit rien ce mot ? Si on le décompose, on retrouve hydro- c’est-à-dire eau, et -lipide c’est-à-dire gras (bah oui, le lipide, ce fameux ennemi juré du régime pré-plage… Oups ! Pardonnez mon égarement !). Et eau + corps gras sont les éléments de base de nos crèmes ! Ce film sert à la fois à préserver l’hydratation de la peau, mais aussi à la protéger des agressions extérieures (le vent et le froid l’hiver par exemple). Bon, là je simplifie un peu son rôle afin de rester dans ce qui nous intéresse, mais l’idée est bien là : il fait barrière aux agressions extérieurs.


En plus d’évoluer selon les parties de notre corps, le pH de notre peau évolue aussi avec l’âge. Il est donc très important d’adapter ses produits à chaque situation. C’est la raison pour laquelle je disais en introduction que le terme marketing “pH physiologique” me faisait beaucoup rire : de quelle physiologie parlent les industriels lorsqu’ils utilisent cette formule ?


Les études semblent montrer que la peau des bébés a un pH neutre, c’est-à-dire un pH autour de 7. Il faudra donc veiller à utiliser des formules très douces, afin de préserver cet équilibre.


Le pH d’une peau adulte se situe aux alentours de 5,5. En dessous de cette valeur, la peau aura tendance à être déshydratée et sèche. Au-delà de cette valeur, nous aurons une peau grasse, avec une forte production de sébum. Une peau déséquilibrée peut donc avoir un pH légèrement au-dessus ou en-dessous de ces valeurs. Néanmoins, afin de rester dans l’équilibre, il est conseillé de rester dans un valeur entre 4,5 et 5,5. Nos crèmes et soins doivent donc être légèrement acides afin de ne pas plus abîmer notre peau.


Un point que nous n’avons pas encore abordé mais qui semble avoir toute son importance ici : la prolifération des bactéries en fonction du pH. Les bactéries auront tendance à se développer plus facilement dans un pH alcalin. Alors qu’un pH acide empêche leur prolifération. Cela explique notamment pourquoi une peau grasse, avec un excès de sébum sera plus facilement sujette aux boutons qu’une peau sèche avec un pH plus acide. Là encore, il est donc primordial de ne pas déséquilibrer notre peau. On ne le répètera jamais assez, mais une jolie peau nécessite beaucoup de douceur.


Et ma vulve dans tout ça ?
Nous avons abordé l’hygiène intime dans un précédent numéro (ECM Le Mag! N° 6). Rappelons néanmoins que comme pour notre peau, le pH de la vulve évolue en fonction de l’âge, mais aussi en fonction du cycle. Globalement, le pH de cette zone est acide, autour de 4,5, mais peut monter à 6 en période de menstruation. Là encore, il faudra privilégier des produits doux et donc légèrement acides. Un déséquilibre peut entraîner différents soucis, notamment d’importantes mycoses. La plus grande vigilance s’impose donc et il faudra adapter les produits de toilettes, qui ne seront pas les mêmes pour une petite fille, une femme adulte et une femme ménopausée.


Enfin, en ce qui concerne les cheveux, là-encore, il nous faudra adapter le pH de nos préparations maison si on ne veut pas créer de déséquilibre. Un pH trop acide aura tendance à abîmer le cheveu, mais aussi notre cuir chevelu. Là encore, il faudra privilégier un pH autour de 5,5. A noter qu’un pH acide aura tendance à “refermer” les écailles du cheveux, alors qu’un pH basique aura tendance à les ouvrir. Dans tous les cas, il est déconseillé d’utiliser des produits de soin et/ou de lavage avec un pH supérieur à 7. A chacun·e donc d’adapter ses soins en fonction de la porosité de ses cheveux. Un rinçage au vinaigre (acide) ou au bicarbonate de soude (basique) peut être un bon moyen de réguler le pH des cheveux. Cependant il faudra garder à l’esprit que tout est question de dissolution : il n’est pas question de se rincer les cheveux par exemple avec du vinaigre pur. Une dissolution à 10% maximum est conseillée. Au-delà, le déséquilibre et l’agression du cheveu risquent d’être trop forts.


Zoom sur… le liniment oléo-calcaire



Bien connu des mamans, le liniment oléo-calcaire est le produit indispensable pour prendre soin des bébés. Sa formule est très simple : 48% d’huile végétale  + 48% d’eau de chaux + 2% de cire (d’abeille ou de cire végétale). Issu du mélange d’un corps gras et d’un corps alcalin, la réaction est similaire à une réaction de saponification. Eh oui : lorsqu’on fabrique un savon, on mélange aussi un corps gras avec un corps alcalin (en l’occurrence la soude caustique – pour un savon solide – ou la potasse – pour un savon liquide/pâteux). Nous l’avons vu au début de l’article, l’eau de chaux a un pH très élevé, autour de 12. Le pH du liniment tourne lui aux alentours de 10. S’il est l’élément indispensable pour prendre soin de bébé, c’est parce qu’il permet de contrer l’acidité de l’urine et des selles de votre bout d’chou. Certaines d’entre nous aiment utiliser le liniment en démaquillant. Personnellement, je lui préfère l’huile végétale, mais une fois de plus je digresse. Nous l’avons vu, il est primordial de préserver l’équilibre du pH de notre peau. Si vous souhaitez utiliser le liniment pour vous démaquiller, il faudra donc veiller à passer sur votre visage un hydrolat au pH acide afin de rétablir l’équilibre de celle-ci et limiter l’agression subie par le pH alcalin.


C’est bien joli tout ça, mais comment je fais, moi, pour mesurer le pH de mes préparations ?



Il existe plusieurs moyens de vérifier le pH. Nous en présenterons trois ici.


  • Les bandelettes de pH.
On les trouve facilement dans les pharmacies. Il y en a aussi aussi chez Aroma-Zone. Elles se présentent sous la forme de bandelettes avec 3 parties réactives. On les trempe dans la préparation dont on souhaite vérifier le pH, puis ensuite on essaie de lire la résultat en fonctions de la couleur qu’elles auront prise. Bien que très répandues, et peu chères, ces bandelettes sont d’une fiabilité moyenne. Le résultat est souvent assez difficile à lire.

  • Le papier pH.
Il se présente en général sous la forme d’un rouleau, parfois sous forme de bande de papier prédécoupées (un peu comme le papier d’Arménie). On en coupe un morceau qu’on trempe dans la préparation. Peu cher, il est beaucoup plus facile à lire que les bandelettes, puisqu’il n’y a qu’une seule zone réactive. On le trouve dans diverses boutiques, notamment chez Dans ma nature.


  • Le pH mètre
Le pH mètre est l’ustensile à privilégier. Et s’il semble être un investissement, il sera vite rentabilisé car nous l’utiliserons pour vérifier chaque préparation. Contrairement aux solutions mentionnées précédemment, le pH mètre est un appareil électronique. Il est donc beaucoup plus fiable que les autres solutions. Selon le fournisseur, il faut compter entre 10 et 20€, ce qui reste tout à fait raisonnable pour un ustensile qui nous servira très souvent.


On trouve parfois des solutions “naturelles” visant à mesurer le pH avec des plantes colorées, le chou rouge par exemple. Cependant, cette méthode n’étant pas d’une grande fiabilité, nous ne la détaillerons pas plus ici.


Pour mesurer le pH d’une émulsion, une crème par exemple, il vous suffit de tremper votre ustensile de mesure dans l’émulsion pendant environ une seconde. Le résultat est immédiat, que ce soit sur le papier ou le pH mètre.


Pour mesurer le pH d’un savon ou d’un shampoing solide, il vous faudra diluer un petit morceau dans de l’eau. En effet, faire mousser le savon sur un savon ne suffit pas. L’idéal est de faire une dissolution à 1%. C’est à dire de fondre 1% de savon dans 99% d’eau pure (une eau minérale, de source ou du robinet n’aura pas un pH neutre et influencera donc la mesure !). Ensuite, on procède comme expliqué précédemment. A noter que le pH d’un savon doit être autour de 9 ou 10. S’il est au-dessus, le savon n’est pas utilisable, et en-dessous, votre mesure est fausse !


En dehors du savon, il vous est possible de corriger le pH de vos préparation. Pour baisser le pH, et ainsi acidifier la préparation, on peut par exemple ajouter de l’acide citrique ou de l’acide lactique. Alors que pour augmenter le pH d’une préparation on utilisera plutôt du bicarbonate de soude ou de l’eau de chaux. Ces ajouts doivent se faire goutte par goutte. Une goutte d’ajout, on mélange bien, puis on mesure de nouveau le pH. Certains ingrédients agissent “naturellement” sur le pH. Par exemple, les hydrolats sont généralement acides.
Enfin, certains ingrédients seront inactif dans certains pH. C’est le cas, par exemple le conservateur Plantaserv Q (appelé “naticide” chez Aroma-Zone) ne fonctionne que si le pH de la préparation est compris entre 4 et 9. En-dessous et au-dessus, il sera donc inefficace.


Et maintenant, nous n’avons plus d’excuse pour ne plus vérifier le potentiel hydrogène de nos tambouilles !




Pour aller plus loin :

2 commentaires:

  1. très bel article très complet merci beaucoup ! je l avais mis de coté pour pouvoir le lire à tête reposée et j ai bien fait :-)
    Nukette

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